A l’heure du contrat d’objectif

Posted by Luc Fouarge on février - 20 - 2020

Le symptôme de qui… La symbiose du second degré

A l’heure du contrat d’objectif,  nous devons nous pencher sur les projets de service des IMP140 et des ITEP…  De qui parle le symptôme ?

J’entends dans les cercles professionnels et leurs partenaires fuser des constats durs sur l’évolution de nos publics. Jusqu’à dire qu’il faut porter l’attention sur l’impact des comportements des jeunes sur les équipes. C’est évidemment  une vigilance indispensable à porter dans les diagnostics que nous formulons sur l’état de nos services, une attention bienveillante qui porte en elle les conditions du passage de l’action éducative à la clinique éducative. 

Le concept de résonnance m’éveille à la réciprocité de ces observations.

Les jeunes ne produisent-ils pas la qualité et l’intensité de troubles du comportement susceptibles de nous mobiliser sur les actions qui soutiennent la « contenance » de notre service ? 

Une mesure qu’ils prennent comme pour sonder la sécurité dans laquelle ils sont accueillis. Mais aussi comme un « appel  au père ». 

Êtes-vous capable d’entendre et accueillir les émotions désespérantes et affolantes que je m’attache à contrôler, camoufler… à mon insu. J’ai peur de ce que je peux faire, de ce que je peux dire des émotions homicidaires et suicidaires que j’écrase tant elles buttent sur la raison, la loi…et la frayeur de ceux qui pourraient les entendre.

Mais aussi je repère que circule entre vous des ressentiments et rancœurs  à l’égard du service qui vous emploie. Aussi je m’attache à développer ou intensifier des troubles qui apportent de l’eau à votre moulin…c’est le sacrifice de ma personne sur lequel je me suis construit depuis que je marche, pour m’accommoder des bruits, des humeurs brutales et imprévisibles dans lesquels je vivais.

Et nous oublions bien souvent que c’est dans une forme de don que naissent et se spécialisent ce que nous finirons par appeler symptômes. Une réponse à la question existentielle du jeune enfant qui observe ses proches et en déduit les réponses essentielles à la question existentielle : « Comment s’y prendre pour être aimé ? »

Et donc oui, posons-nous cette question sur la capacité contenante [1] de nos services quand ils abordent l’élaboration du contrat d’objectif. Ce qui pourrait passer pour du nombrilisme est nécessaire et essentiel pour élaborer la  thérapie institutionnelle. Sans cet intérêt pour ce qui fait contenance dans nos services, ces derniers, ne peuvent devenir soignants et pourrait faire de nous des « sauveurs pathologiques » dans une illusion d’efficacité qui s’avère au mieux inefficace, au pire dangereuse voire destructrice pour nos jeunes et leur famille.

Oui, de façon générale notre culture fait vaciller la contenance de la société. L’école et la plupart des collectifs d’accueil et d’hébergement en souffrent. Les CM et les droits de retraits sont les premiers symptômes de ce déséquilibre. Les familles peinent également, parents et enseignants se renvoient fréquemment la responsabilité de cette perte de sécurité fondamentale qui ne sert plus, de moins en moins, de rampe d’accès à l’autonomie des jeunes. Comme s’il restaient à la maison de crainte de l’incapacité de leurs parents d’assumer le face à face et la peur de l’entrée dans une société qui exige tant de performances et de fric pour s’autonomiser.

J’attire donc notre attention sur le risque que nous ferions encourir à nos jeunes en tentant de les qualifier, de les diagnostiquer sans avoir préalablement scanné la capacité contenante de nos services. Mission dans laquelle tant nos administrations que les politiques ont leur part dans le soutien qu’il convient de porter à cette analyse. Je rappelle que les jeunes dont questions se livrent volontiers à activer les symptômes dont ils devinnent qu’ils pourraient nous être utiles.

Je crains le risque que les jeunes s’en trouvent affligés et affublés de nouvelles catégories diagnostiques. Une analyse qui se voudrait soignante aurait questionné prioritairement les fonctionnements et dysfonctionnements du service. Je recommande que avant toute réunion clinique, les services aient accepté le fait que les problèmes des professionnels soient examinés dans l’interdisciplinarité,  prioritairement à ceux des jeunes… Sans quoi les jeunes trouvent échos aux dévouements qu’ils ont expérimentés dans leurs familles. Ils y prennent place et le service se met au services de la « pathologie » que décriera la réunion clinique et/ou de synthèse.

Il n’est pas rare que le premier diagnostic d’un collectif qui va mal s’arrête au constat que les jeunes ont pris le pouvoir !  Faux, ils ne prennent pas le pouvoir on leurs abandonne le pouvoir. 

La première lecture clos le débat et le service restera en souffrance. Les appels au père des jeunes ne sont plus entendus, un climat d’insécurité installé fait caisse de résonnance aux symptômes. Il sera moins inconfortable d’en attribuer la responsabilité aux jeunes ; « Ils sont de plus en plus abimés, ils relèvent davantage du soin que de l’éducatif, ils sont l’expression d’un malaise de société, l’école ne les (en)cadrent plus et les parents sont démissionnaires  et que fait la justice ! »

S’enfermer dans cette lecture créent un contrat secret entre l’institution et les jeunes autour du non-changement. Cette fois le service se met au service de la pathologie qui s’installe chez les jeunes. Une telle analyse dispensera politiques et administrations d’aborder les questions de la qualité de l’encadrement de ces services. Dimension que le déploiement de quantophrénie et de qualitarisme, instruments de mesures de logiques gestionnaires, ne pourra améliorer. 

Dans ma pratique je m’appuie sur les concept de « résonnance » de Mony Elkaim et de symbiose de second ordre développé par les Schiff en AT.

Le premier, artisan, artiste de la métaphore nous compare à deux instruments à cordes qui se parleraient. Les sons  prononcés par l’un fait vibrer l’autre d’un son qui lui sont inconnus. Comme si le vécu de l’un venait faire écho chez l’autre et lui ferait émettre un son qu’il ne reconnait pas comme le sien, et pourtant cela vient de lui, de ces zones « secrètes » de la conscience. Si cet autre n’y prête pas attention voilà qu’il vibrerait, agit par le premier… comme un arrangement secret d’une construction duelle ou chacun semblerait bien se ménager. 

Ce concept n’est pas très éloigné des théories sur le transfert et le contre-transfert des freudiens. Une forme de mélodie résultant d’une interaction émergeant de deux inconscients. S’il n’y a pas  d’intervention d’un tiers, offrant à l’intervenant à voir de lui ce qu’il ne peut voir de lui, il y a fort à parier que le résultat devienne catastrophique pour chacun. 

Les Schiff mettent en lumière cette bascule d’une symbiose saine, cette mère du poupon qui focalise toute son écoute sur les besoin de son enfant, méconnaissant les siens, et qui en l’absence de père, ou en présence d’un « père manquant » nous dirait  Guy Corneau , cette mère ne reprendrait pas l’écoute de ses besoins et s’effondrerait à petits feux dans la dépression. La, il n’est pas rare que s’installe l’inversion de la symbiose et le petit se spécialiserait dans cette posture d’intérêt prioritaire des besoins de l’autre. Il développera des outils d’observation et de de « diagnostic »  et développera des symptômes  dont le buts est de distraire cet autre, la mère, puis l’éducateur… de leurs tourments méconnus.

M’appuyant sur ces concept je propose d’ « équiper » le TS, éducateur, AS, psychologue…  de sorte que son équipe deviennent son premier tiers. Il est donc question d’une facilitation de s’exprimer en équipe sur « je peux voir de toi ce que tu ne peux voir de toi et je te l’offre dans la bonneveillance.    Et inversement, je me dispose à m’approcher de toi pour t’offrir ce que je peux voir de toi et que tu ne peux voir toi-même, dans le respect et la bienveillance. 

Cela ne fonctionne que dans une culture d’équipe qui prend cet engagement, sans renoncer à s’exprimer au nom de frilosités relationnelles, culturelles. 

Il convient que les PO et les pouvoirs subsidiant reconnaissent ce « travail en chambre » comme un soin pour chacun et que par phénomène de cascade, ce soin rejaillisse sur les personnes accueillies et soignées. Sans ce travail constant il est illusoire d’attendre qu’une équipe passe de l’action éducative à la clinique éducative. Cette attention constante sur l’exercice de la « tiercité » au sein des équipes prend trop peu de place dans l’organisation de travail en équipe. Il est souvent nécessaire de faire appel à une personne externe au service pour aider à l’installation de ce processus d’intervision. 

[1] Lucfouarge.com/formations/ « Equiper » le travailleur social