Echanges entre Serge HEUZE,  France, secrétaire MèTIS asbl et Luc FOUARGE, vice président belge

« Réflexions sur les référents théoriques utilisés par nos adhérents au service des jeunes sans imites.

Cher Serge

Un débat interne a déjà eu lieu chez MèTIS sur la question des approches  psy et thérapeutiques, proscrites ou autorisées, dans les pratiques  de nos adhérents.

Cette discussion me semblait s’être clôturée par l’existence de limites éthiques que fixent les déclarations internationales des droits de l’Homme et de l’Enfant, adoptées par MèTIS comme limites nécessaires  et suffisantes.

Le même cadre s’impose aux praticiens de la PNL, des thérapies cognitivo-compartementalistes, des approches psychanalytiques, des approches d’Aucuturier , de l’analyse transactionnelle, du gestalt-sensitive massage et autres approches de développement personnel, des thérapeutiques médicales soutenues par la recherche des neuro-sciences et de la neuro-psychologie…tous partagent le même devoir de servir la subjectivation, l’insertion et/ou (selon) l’intégration, des jeunes en difficultés psychologiques.

MèTIS serait en devoir de dénoncer l’application de pratiques qui mettraient à mal les droits énoncés plus haut.

J’irais même jusqu’à  regarder d’une attention bienveillante les équipes qui introduiraient une dimension Verticale dans leurs actions si celles-ci se montrent scrupuleuses quand au respect des droits fondamentaux adoptés par MèTIS et s’il elles sont au service du jeune. Notre association ne s’est pas déclarée militante des thèses laïques. Et nous n’avons pas fait de déclarations sur le port du voile.

Durant les derniers travaux de la déclaration de Luxembourg,  Serge fit allusion au rejet de certaines approches par notre association.

Avec lui, je m’associe aux incitations de J.Y. Hayez qui nous encourage à prendre distance avec des outils de types ISO qui nous façonneraient une image associée aux « producteurs » de richesses matérielles et qui nous boufferait tant de temps que nous serions moins encore en relation avec « nos » jeunes. On en arriverait à nous retrancher derrière la pêche aux « indicateurs » pour satisfaire aux besoins de contrôle de nos « subsidiants ».

J’ai vu quelques regards plus inquiets que chagrins chez des participants. Parmi eux, la représentante du ministère de la santé. »

Luc

 

 

Bonjour Luc,

La teneur de ton message suscite chez moi une certaine perplexité. Dommage effectivement que nous n’ayons pu en parler de vive voix. Il aurait été possible de le faire à différents  moments entre jeudi soir et samedi début d’après midi.  La question pourquoi, alors? se pose pour moi au moins. D’ou le choix d’un échange intermédiaire, de personne à personne, avant de reprendre éventuellement la question avec MèTIS.

Pour ma part, je ne parviendrai pas à coopérer avec des professionnels qui prennent comme référence théorique le comportementalisme, dont un des attendus est, sinon la négation de la vie psychique au moins de se démarquer d’une  hypothétique vision du psychisme. Il me semble que nous avions pris nos distances avec ces courants. Tu me rappelles que les positions de MèTIS seraient autres, soit. Il me revient donc d’en tirer les conclusions.

En ce qui concerne les échanges dans l’atelier du mercredi soir, il me semble avoir pris les précautions nécessaires lorsque j’ai évoqué la cohérence théorique d’un texte qui ne pouvant être un texte de consensus, pouvait être cependant un texte de compromis. Je remercie à ce titre l’intervention de Jean BLAIRON et celle de Michel BOTBOL.

Luc, je ne parviens pas à saisir si l’inquiétude dans les regards des participants était liée à expression de mes positions en décalage avec celles de MèTIS. Peux tu être un peu plus clair si tu penses que je n’ai pas tenu ma place ou brouillé l’image de l’association?

Amitiés

 

 

Cher Serge

Je ne suis pas formé aux approches comportementalistes. J’adhère à ta réflexion sur des pratiques qui nieraient l’existence d’une vie psychique.

Mon propos est autre. Je pense qu’on peut mettre en œuvre des approches comportementalistes tout en reconnaissant l’existence d’une vie psychique. La question est de savoir ce qu’on en fait et de choisir une approche plutôt qu’une autre en fonction de ce que l’on vise dans l’intérêt du jeune. L’usage du transfert par le psychanalyste est évidement bien différent de celui qu’en fera (ou pas*) le comportementaliste. Ce qui n’empêche que le transfert se vit, avec un thérapeute quelque soit son origine théorique, dès lors qu’il est question de relation. Le dénier est un non sens, il fait partie de la vie.. La manière de le traiter, d’en tenir compte sera différente d’une école à l’autre. Ne pas en faire cas dans son approche, à la manière de…. n’est pas un déni de sa manifestation dans la vie. Je conçois bien qu’une approche qui n’aurait d’autres visées que de raboter, supprimer un, ou des symptômes verrait le psychisme « élaborer » d’autres voies d’expressions symptomatiques. Le jeune n’irait pas mieux.

Je ne connais pas d’équipe (si une, mais elle commence à s’ouvrir à d’autres approches) ITEP, 140….. qui n’aurait qu’une seule approche. Il s’agirait d’une chapelle. Et je m’insurge contre toute « chapellisation » de services destinés aux jeunes sans limites. Il en est ainsi pour une chapelle Lacanienne autant que pour une chapelle comportementaliste. L’omnipotence d’approches mono-méthodistes fait courir aux jeunes le risque d’être privés d’actes de soin dont ils auraient besoins. Il me semble  que tous nous acceptons qu’à certaines occasions un adjuvent médicamenteux facilitera les relations qu’un jeune entretient avec nous. Il se peut que cet adjuvent soit indispensable pour faire place à un début d élaboration psychique. Quelques uns de nos jeunes n’arriveraient jamais à la jubilation de la réussite d’un tel travail sans en passer par la prise de médicament. De la même façon, je trouverais judicieux qu’une équipe sollicite les soins d’un psy tenant des TCC pour diminuer la force d’une expression de symptôme qui empêcherait l’accès à un travail d’élaboration. La question serait à mon sens de savoir si l’on sert ou si l’on dessert un jeune en souffrance en retardant l’accès à un travail psychique parce que l’équipe manifesterait des frilosités à user d’approches médicamenteuse et/ou comportementaliste.

S’il fallait s’entendre sur une seule règle pour protéger nos jeunes de la toute puissance des adultes soignants ce serait d’exiger l’éclectisme dans une équipe et de vérifier qu’elle se pose la question de l’éthique dans les choix de méthodes qu’elle opère, dans un contexte donné. Mesurer cette question à l’aune des déclarations universelles des droits de l’homme et de l’enfant, dans la pluri-disciplinarité que nous proclamons, me parait convenir comme point de vue rassembleur pour MèTIS.

 

Ou pas * : Il n’est pas possible de ne rien en faire. Ce phénomène relationnel est, dans toute l’existence. La présence d’un psy-psy n’est pas indispensable  à son déroulement même s’il apparait que le psy formé à l’approche psychanalytique parait être le plus pertinent pour en faire un usage tel que définit en psychanalyse.

 

Pour ce qui est de la question du travail accompli en groupe avec les participants autour de la déclaration, en quittant la salle, Jean Philippe et moi avons échangé sur une gène ressentie par tous les deux.  Elle naissait de ce que nous avons compris comme une condamnation de l’approche comportementaliste par MèTIS. C’est à ce moment que nous avons perçu l’embarras d’une participante. Ce débat n’étant pas central pour la déclaration, et en raison du fait qu’il n’était pas question de retarder l’aboutissement de cette soirée, l’un et l’autre nous avons laissé passer. Nous nous sommes promis de reprendre cette question en CA.

Je souhaitais qu’au moins ce questionnement se pose avant la fin des travaux du CA  de sorte que nos amis luxembourgeois se sentent libres de reprendre cette question avec cette dame du ministère de la santé si elle le souhaitait. Pour cette raison, j’ai choisi de traiter cette équivoque en la présence virtuelle de nos amis. J’aurais préféré que cela se déroule avec ta participation et celle de J P Pavaux.

 

Rien de ce débat n’ébranle la grande confiance et l’admiration que j’ai pour tes talents. Je suis heureux et fier de cette capacité de débattre que nous partageons.

Amitiés

Luc

 

Cher Luc,

 

Il y a, de mon point de vue un réel problème de cohérence lorsqu’un outil conçu en référence à une théorie, aux principes d’une théorie, est utilisé dans une autre perspective.

Fondamentalement les théories comportementales sont étrangères à toute notion de transfert et de contre transfert, tout comme à celle de clinique.

Si les conceptions psychodynamiques incluent la psychanalyse, elles  englobent aussi de nombreuses méthodes dans lesquelles les relations intersubjectives constituent le vecteur d’accès à l’élaboration d’une pensée autonome, chez un sujet accompagné temporairement sur le chemin de la connaissance.

Aucune méthode comportementale, c’est à dire référent au behaviorisme, ne se situe et ne peut se situer dans cette perspective: accompagner le sujet, dans l’accès à un travail d’élaboration psychique.

Les conceptions psychodynamiques ne se limitent en aucun cas à une intervention psychothérapique, bien des jeunes dont nous nous occupons sont tout à fait rebelles à cette approche. Ce que permettent de mettre en perspective les conceptions psychodynamiques à l’oeuvre dans le travail éducatif et pédagogique, y compris parfois sous des modes temporairement inductifs, sinon injonctifs, c’est la recherche d’une mobilisation psychique chez l’enfant, l’accès à un travail d’élaboration approprié à sa problématique et à ses défenses.

Les conceptions comportementales n’ont pas ce souci, ce qui ne veut pas dire que certain praticiens ne l’ont pas. Dans ce dernier cas il y a au moins tension sinon contradiction théorique, tout comme lorsque le Lacanisme s’érige en méthode dogmatique.

La psychodynamique ne peut se réduire à la psychanalyse de cabinet, à la psychothérapie.  Elle appelle au contraire une diversification des médias, afin  de permettre  à des enfants de s’inscrire dans un processus de relation qu’ils récusent d’autant plus, qu’il leur est vital psychiquement. Dans le travail avec des jeunes difficiles, les éducateurs et les enseignants et souvent seulement  »un parmi eux »,  sont les  seuls à pouvoir amener l’enfant à accepter une relation dont il se protège et a absolument besoin de se protéger.   Comme nous l’a redit Michel  BOTBOL, ce n’est qu’ensuite, plus tard à condition surtout de ne pas vouloir chercher trop vite à comprendre ou à savoir ( »ça voir »),  que ces adultes en relation dans la trivialité du quotidien ou de moments  »extraordinaires » pourront, dans le cadre de réunions  »clinique » formuler quelques hypothèses sur ce qui se passe relationellement. L’approche de ces éléments sera bien basée sur le vécu intersubjectif,  vu du côté du professionnel mais incluant aussi la recherche de signes cliniques qui apparaîtront avec ce statut que dans l’échange interdisciplinaire orienté par une théorie. Il s’agit bien d’accepter de travailler avec des éléments conscients et inconscients, qui sont assez loin des paradigmes de l’observation  »scientifique ». C’est ce travail d’élaboration interdisciplinaire qui suscite et entretient le désir de savoir, pas tout,  un peu plus, sur ce qui arrive au professionnel et à l’enfant.  De là, ce travail d’élaboration partagée peut  permettre au professionnel de situer personnellement ce qu’il peut  engager, supporter, éviter  » ça voir », tenter… sachant que les choses dans l’interaction ne se produiront généralement pas comme prévu. Ce type d’approche donne une valeur théorique à la surprise, à l’inattendu, à l’incomplétude, à l’imperfection de la condition de mortel.  La dynamique institutionnelle doit précisément  veiller a ce que le potentiel de rencontre des intervenants de la première ligne ne soit pas affecté par la tentation  »d’interpréter » ce que l’enfant met en jeu. C’est a mon avis sur ce point que des dérives ont plombé le potentiel soignants d’équipes d’établissements à l’égards d’enfants incapables de supporter ce dont ils ont le plus besoin: rencontrer un Autre libre, non menaçant.

En revanche le comportementalisme se soucie peu de l’approche  »clinique », c’est à dire de ce qui se passe dans la relation intersubjective. Cette dernière, théoriquement parlant, lui est étrangère car ses bases sont  »scientifiques », objectives. Il y aura toujours inexorablement tension entre subjectivation et objectivation, c’est la raison pour lesquelles ces deux conceptions sont incompatibles au sens littéral.

Ton plaidoyer pour la relation, l’attention au transfert et contre transfert, dont les aléas peuvent échapper temporairement ou davantage à la conscience, est de mon point de vue sans équivoque quant à ta pente théorique.  Tes préconisations d’usage de médicaments, à des fins d’accès plus rapide à un travail d’élaboration psychique, voire de plus grande disponibilité dirais-je , sont tout à fait compatibles avec les conceptions psychodynamiques. Que resterait-il donc à espérer du comportementalisme?  Peut être une clarification de ses attendus en la personne d’un de ses fondateurs: John WATSON, U.S.A., 1878-1958.  “… Donnez-moi une douzaine d’enfants sains (…) et je m’engage en les prenant au hasard à les former de manière à en faire des spécialistes de mon choix: médecins, juriste et même mendiant ou voleur, indépendamment de leurs talents, tendances, aptitudes, ainsi que la profession ou la race de leurs ancêtres.’’.

J’écrivais alors à ce sujet pour les travailleurs sociaux  qui avaient choisi de réfléchir sur la philosophie de l’intervention: « Ces propos expriment de façon très claire une position philosophique ne prenant pas en compte les aspirations personnelles des gens. Le comportementalisme peut être manifeste dans ses intentions comme lorsqu’il s’agit de faire marcher une troupe au pas, mais elle peut être plus insidieuse, voire agréable comme dans la publicité. Le principe demeure le même, la fin consiste en une augmentation de la dépendance des êtres à un intérêt  »supérieur ».

Sege