“…un enfant en souffrance”

Posted by Luc Fouarge on août - 4 - 2016

Jeune en situation complexe : L’accompagner dans la rencontre avec la souffrance.

Cet énoncé se retrouve fréquemment dans les écrits d’équipes soignantes de jeunes présentant une pathologie psychotique et des troubles du comportement. Les comportements qu’ils adoptent ont souvent l’imprimatur de la souffrance ; agitations, cris, bris d’objets, agressions et auto-agressions, fuites…
Immanquablement ces comportements touchent et renvoient aux expériences et représentations de chacun. Ces conduites nous impactent. Chez le « névrosé normal », ces conduites sont unanimement reconnues comme des signes qui manifestent de la souffrance d’origine interne comme l’angoisse ou externe telle la frustration, la perte, l’agression, la maltraitance …
L’accompagnateur psycho-social, (éducateur, psychologue…) peut se saisir de ces signes objectifs pour soutenir le jeune dans la recherche de solutions, de réflexions, de demandes d’aide et de protection, compassion, de limites… susceptibles d’apaiser le jeune. Chez le psychotique il est fort probable que ce même accompagnement, ces mêmes réponses ne soient pas efficaces et voire même qu’elles amplifient les manifestations auxquelles il est périlleux d’attribuer un sens.
« … un enfant en grande souffrance », évoquant les troubles du comportement du jeune psychotique, piège le soin qu’on aimerait lui prodiguer. Si la souffrance est un signe d’alerte de l’urgence de répondre à un besoin laissé en salle d’attente, en souffrance, est énonçable chez le névrosé, elle peut être entendue par le soignant qui aidera la personne à développer son « ressenti » et l’assistera dans la mise en œuvre de réponses. Chez le psychotique, ces manifestations font barrage à l’étape du « ressentir » depuis bien avant qu’il ne marche. Elles ne sont probablement pas en lien, dans le mode d’expression, avec les traumas du passé. Elles ont un rendement dans la relation avec le monde qui les confirment dans une forme d’étrangeté avec celui-ci. Les utiliser comme on le ferait avec le jeune névrosé renforce chez l’un comme chez l’autre ce sentiment d’étrangeté. Un mur d’incompréhension se dresse et se renforce à chaque nouvelle épreuve. Nous risquons donc de faire pire que mieux. Re-qualifier, redéfinir les troubles du comportement, cette expression rempart, en « grande souffrance » relève d’une symétrie improductive et participe d’une relation psychotique. Quelques auteurs signalent la redéfinition comme un des critères diagnostiques des états psychotiques.
Elle est donc amplificatrice de la pathologie dans ces cas. Justement, un axe de différenciation névrose/psychose est la question de la souffrance. Nous devrions donc espérer qu’il souffre. Dans ce cas, « névrotiser » consisterait à aider le jeune à accéder à la souffrance plutôt que d’adopter des comportements qui jettent de l’encre pour le faire disparaître et mobiliser l’énergie du soignant sur des attitudes désespérées. Sidéré par ces « manifestations de souffrance », s’il n’en perd pas ses moyens l’éducateur répond forcément à côté du besoin, dans une attitude illisible par le jeune qui alourdit sa collection de confirmation de cette étrangeté. Dans la réunion clinique il faudra donc soutenir l’éducateur dans une recherche de réponses différentes de celle qui conviennent bien aux névrosés de son unité de vie. Cet énoncé, «… un enfant en grande souffrance », clôt donc la relation parce qu’il méconnaît la réalité du jeune, il oriente le regard de l’éducateur sur de fausses pistes le rendant partenaire de l’édification d’un arsenal de lutte contre la réalité.

Dans les IMP 140, il n’est pas rare que quelques jeunes se situent dans des états limites. La construction psychologique est en cours. Les bascules fréquentes. Les « contagions », les émulations et escalades dans les troubles du comportement sont particulièrement difficiles à gérer dans les groupes de pré-ados. Névrosés et psychotiques cohabitent. Les équipes éducatives doivent jouer plusieurs instruments et souvent passer d’un registre à l’autre dans la gestion d’un même épisode. Ils ont besoin d’un important travail « en chambre » et dans l’interdisciplinarité pour débriefer les interventions, les événements du quotidien. Et si l’amener à la souffrance devenait l’un des buts de la mission de l’équipe soignante ? Comme l’encre de la sèche, ces troubles du comportement que nous décrivons un peu vite comme une traduction de la souffrance ont peut être pour objectif de nous tenir à distance respectable. Dans cette hypothèse, et pour ne pas répondre à cette invitation, les équipes devront parler de leurs souffrances dans un espace « contenant et bienveillant ». Ces équipes doivent connaitre le rapport qu’elles ont avec l’attachement, afin d’éviter que le jeune ne soit par ces comportements ainsi étiqueté écran des projections des travailleurs psycho-sociaux. J’évoque là l’indispensable soin à porter à ces équipes pour qu’elles ne «tentent » pas de se réparer par le travail avec ces jeunes qui cultiveraient ainsi le non-changement. Oui, si ces jeunes accèdent à la souffrance, s’ils sont aidés à penser sur cette souffrance, peut être auront-ils le désir d’aller vers de nouvelles solutions. Nous parlons souffrance alors qu’ils n’accèdent pas encore à l’étape du ressentir. Si nous plaquons nos représentations de la souffrance sur eux, ils s’éloigneront. En forçant le trait, j’irais jusqu’à dire qu’un dispositif institutionnel spécifique ne peut réussir cette ambition de les amener « au ressentir » que si le service est lui même à l’écoute de la souffrance de ses membres. Sans toute fois en faire un groupe thérapeutique. Il faudra lever des « « méconnaissances » (processus actif et non conscient de non connaissance) dans l’équipe pour qu’elle puisse « débusquer » celles des jeunes qui s’en servent pour éloigner la souffrance. Ces troubles du comportement ne sont probablement pas la partie visible de ce que nous nommons souffrance parce que nous la ressentirions si nous étions amenés à vivre ce q’ils s’imposent, ce qui s’impose à eux. Il convient d’anticiper les risques de la symétrie. Des équipes, des projets novateurs se mettent à sentir ces souffrances que ces jeunes ne peuvent exprimer. Résultat d’un processus d’exportation des sentiments. La thérapie commence par le travail de l’équipe sur elle même. Et la, par phénomène de cascade, ces jeunes pourront peut être l’accueillir et penser avec nous. Je vous propose plus qu’une relecture sémantique…. un pas de côté de plus dans le changement de posture,… et de passer de l’action éducative à la clinique éducative.
Luc Fouarge